Retour sur la visite archi-mémoire
Visite archi-mémoire du 8 mai 2021
L’Autre Soie est comme un fil tendu entre l’histoire industrielle du quartier et la volonté commune de créer, pour demain, une ville inclusive. Le samedi 8 mai, une visite archi-mémoire a été organisée dans le cadre de l’ouverture de “Chantier Ouvert” et du cadre du festival Mémoire Vive, qui s’inspirent du chantier comme source de création et de rencontre avec les publics. A cette occasion, des professionnels ont rencontré les acteurs de l’architecture et de la construction du projet de l’Autre Soie.
William Lafond, chef de projet au GIE La Ville Autrement, a démarré la visite par une présentation globale du projet urbain de l’Autre Soie dont il est chargé. Le projet se compose notamment d’une programmation mixte de logements (accession sociale, habitat participatif, logements sociaux, etc), de locaux d’artisanat, et d’une salle de spectacle avec des bureaux attenants.
William Lafond a ensuite rappelé la chronologie du projet, marqué de 2018 à 2020 par une première phase d’occupation temporaire caractérisée par le développement et la mise en valeur d’un volet économie sociale et solidaire important. Lors de cette occupation temporaire, plus d’une vingtaine de structures a pu bénéficier de locaux au sein du bâtiment patrimonial, avant de déménager dans le bâtiment actuellement occupé.
Depuis quelques mois, l’Autre Soie est entrée dans une nouvelle phase avec le démarrage des chantiers. Ce temps du chantier s’inscrit dans une dynamique de réemploi importante. En premier lieu, les 21 familles du Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU) ont été relogées dans 50 modules temporaires. L’enjeu de ce relogement était de maintenir les personnes sur place et la vie qu’elles apportent au lieu. L’occupation temporaire a également été prolongée et transposée dans de nouveaux locaux, avec non plus 24 mais une dizaine de structures occupantes à ce jour. Enfin, le parc de l’Autre Soie continue d’être régulièrement investi, par les activités du CCO mais aussi par les projets des compagnies résidentes.
Mathilde Pineau, chercheuse en géographie au Rize de Villeurbanne, est ensuite revenue sur l’histoire des lieux et du bâtiment patrimonial, au cœur du projet (ancien IUFM). En effet, le bâtiment historique a eu de nombreuses vies avant l’Autre Soie. A l’origine il a été édifié par la famille Gillet, les patrons de l’usine de la TASE qui se trouve non loin de l’Autre Soie, pour loger des jeunes ouvrières employées à l’usine de leurs 13 ans à leurs 18 ans. Il a ensuite été utilisé par l’armée pour accueillir un peloton d’élèves officier de réserve avant de devenir un hôpital pour les soldats et blessés de guerre. Le bâtiment a ensuite été occupé par les élèves de première année de l’Ecole Polytechnique. Plus tard, le bâtiment deviendra un lieu de formation pour les professeurs de l’enseignement technique. Il a d’abord été l’ENNA puis l’IUFM. Mais à la fermeture de ce dernier, le bâtiment a été laissé vacant pendant plusieurs années avant que le CAO ne réinvestisse les lieux pour s’installer et accueillir une centaine de personnes en situation de migration, à la suite du démantèlement des camps de Calais et de Grande Synthe en 2016. C’est également à cette période que le projet de l’Autre Soie commence à se dessiner. En 2018, le CCO et une vingtaine d’autres associations, occupent pendant deux ans le rez-de-chaussée du bâtiment historique pour débuter le futur du lieu jusqu’en 2020. Aujourd’hui, le bâtiment mais également tout l’espace qui l’entoure entre dans la phase de travaux du projet de l’Autre Soie.
Stéphanie David, de l’agence A-mas, chargée de la rénovation et de la reconversion du bâtiment patrimonial a justement à cœur de prendre en compte toutes les vies du bâtiment. Les architectes estiment que l’intervention architecturale contemporaine n’est pas en opposition avec la préservation de la mémoire des lieux. Les deux aspects peuvent justement se valoriser l’un l’autre.
L’agence A-mas, va faire en sorte de conserver l’aspect architectural extérieur du bâtiment tout en apportant de la nouveauté à l’intérieur. La rotonde, qui servait de réfectoire aux jeunes ouvrières, va devenir un jardin d’hiver lumineux qui sera un lieu de rencontre pour les différents usagers du lieu. De cette manière, la façade du bâtiment sera visible et non dissimulée derrière les différents ajouts successifs. L’autre aspect important de son intervention est le volet réemploi : 70% des matériaux déconstruits vont être réutilisés dans le projet de l’Autre Soie. Mais ne pouvant faire sans matériaux neufs ceux-ci seront également réutilisables dans le futur. L’architecte entend ainsi créer un véritable dialogue entre l’histoire et la mémoire du lieu et le futur du projet de l’Autre Soie.
Enfin, Julien Leclercq, de l’agence Vurpas, en charge du lot D, a présenté le projet porté par son agence et les enjeux qui lui sont associés. L’agence Vurpas a travaillé sur la base d’un concours, en tenant compte des singularités du projet de l’Autre Soie, qui résident notamment dans le fait d’avoir au sein d’un même projet différents types de programmes. Très vite, l’agence s’est rendue compte qu’un des enjeux primordiaux de ce projet était d’imaginer des liens entre tous ces programmes, ce qui n’est pas un réflexe pour le champ de l’architecture dans lequel les agences se cantonnent souvent à sa spécialité (habitat, équipements publics, etc). La force de l’Autre Soie réside dans la capacité des architectes à considérer le projet dans son ensemble avec des porosités entre les différents programmes, malgré une réglementation parfois stricte.
Dès sa découverte du site, l’agence Vurpas a été séduite par l’architecture rigoureuse et les matériaux nobles, notamment du bâtiment patrimonial. C’est également l’énergie du site et l’envie de faire ensemble qui en ressortait qui ont incité l’agence à se positionner sur le projet et à entrer en résonance avec lui, afin que leurs propositions soient vectrices et supports des dynamiques ressenties. Julien Leclercq a ensuite décliné le programme imaginé pour le lot D : une salle de spectacle avec des bureaux attenants, des logements et une cour commune, « l’agora », qui sera un lieu de vie de premier plan pour les résidents, « sans usages réellement prédéfinis mais où chacun trouvera sa place ». Plus globalement, le projet de l’agence Amas s’inscrit dans une volonté de penser les liens entre les espaces à différentes échelles et de travailler une architecture simple et rigoureuse « au service d’espaces collectifs généreux qui offrent des possibilités d’appropriation.
En quelques mots, Julien Leclercq a achevé son intervention en décrivant le projet de l’agence Vurpas comme « un support au travail artistique, graphique, participatif, un support à toute cette vie qui se déroule déjà ici et qui pourra se prolonger à travers ce projet. C’est le défi : comment, dans un projet neuf comme celui-là, on arrive à offrir un vrai foyer pour toutes ses envies et toutes ses aspirations des résidents ? ».